Sommaire
[ad_1]
Le confinement de l’épidémie de Covid-19 réduit nos activités, notamment nos déplacements motorisés. Voitures, deux-roues, trains, bateaux et avions s’effacent de notre paysage pour un temps.
Ainsi s’amenuise le bruit de notre société agitée et revient le chant printanier des oiseaux amoureux. Il suffit d’ouvrir ses fenêtres pour s’apercevoir que le silence est revenu et que s’entend la nature.
Mais qu’est-ce que le silence ? Et quelle place tient-il dans la vie des animaux et dans les paysages naturels ? Que nous révèle aujourd’hui cette éclipse sonore ?
La réalité acoustique du silence
Le silence est multiple – à la fois individuel et intérieur, collectif et extérieur – et circonstanciel puisqu’il est social, familial, musical, professionnel, spirituel, radiophonique, électronique.
En acoustique, le silence correspond à l’absence de sons perceptibles par l’être humain. Le seuil de perception de notre oreille, quoique variable d’un individu à l’autre, est défini comme l’absence de variations autour d’une pression atmosphérique de 0,00002 Pascal ; le Pascal étant l’unité de mesure de la pression des gaz. Le niveau de pression acoustique au-delà de cette référence est mesuré en dB. Une valeur de 80 dB correspond à l’intensité sonore d’une rue à forte circulation.
Selon l’acoustique, le silence « vrai » se situe donc à 0 dB. Il est possible d’atteindre ce niveau dans une pièce totalement insonorisée, mais il est impossible de percevoir le silence absolu car il est immédiatement interrompu par notre corps, nos mouvements respiratoires, nos battements cardiaques.
La quête du silence absolu est ainsi perdue d’avance. Pour autant, le silence existe bien si l’on sort de cette définition strictement acoustique.
Le brouillage du bruit
Pour définir le silence, on peut aussi aller voir du côté de son antimatière, le bruit.
Le bruit correspond à un son qui n’a pas de structure temporelle ou fréquentielle. C’est un phénomène désordonné, comme l’image neigeuse des anciens écrans de télévision. Le bruit est aussi un son qui ne porte pas d’information – il n’est pas intéressant. Un discours dans une langue inconnue de l’auditeur peut vite s’apparenter à du bruit.
Il peut également s’agir d’un son gênant qui perturbe la réception et la compréhension d’une information codée par un son intelligible – appelé « signal » ; le bruit est ainsi l’ennemi du signal. Si votre voisin parle en même temps que vous, il brouille votre signal. Le bruit, c’est aussi les autres.
Si nous détruisons le bruit et les signaux, nous avançons vers le silence. Il ne s’agit pas d’un silence absolu, mais d’une forme de flottement acoustique. Le silence n’est donc pas le néant – ce 0 dB défini par les acousticiens – mais plutôt une absence de bruit permettant d’atteindre un sentiment de tranquillité acoustique ; c’est notamment ce que l’on ressent dans les paysages sonores naturels.
Et le virus tua le bruit
Les paysages sonores peuvent être divisés en trois grandes catégories : la biophonie (ensemble des sons dus aux êtres vivants, à l’image du chant des oiseaux) ; la géophonie (ensemble des sons venant d’éléments naturels non vivants, comme le tonnerre ou la pluie) ; l’anthropophonie (ensemble des sons liés aux activités humaines).
Depuis quelques jours, la biophonie semble avoir pris le pas sur l’anthropophonie.
Le confinement lié au Covid-19 réduit le bruit de notre société, nous conduisant vers une forme de silence inattendu. L’immobilité fait décroître le bruit que nous générons avec nos moyens de transport : réduction du trafic routier, ferroviaire, aérien, et naval. C’est une situation acoustique totalement inédite que nous pouvons percevoir depuis nos fenêtres et balcons.
Que se passe-t-il au juste ?
Fondamentalement, pas grand-chose ! Une baisse du niveau du bruit ambiant, comme si l’équalizer était mieux réglé, ou que le souffle des enceintes avait disparu. Les sons de la nature réapparaissent, le paysage sonore passe d’une basse fidélité (low-fi) à une haute fidélité (high-fi).
En temps normal, le bruit de l’anthropophonie interfère avec le son des animaux, les obligeant à chanter plus fort, plus aigu, plus souvent, ou à décaler leur période de chant, réduire leur activité sonore, voire à fuir.
Le bruit est aussi source de stress, de fatigue, de dérèglements physiologiques, de perte de vigilance face aux prédateurs, de réduction des comportements alimentaires. Tous ces effets harassants peuvent influer sur la survie des individus et être visibles à l’échelle de tout un écosystème.
Il est donc raisonnable de penser qu’un cadre sonore calme, dépollué, puisse augmenter la survie des animaux chanteurs, faciliter leur reproduction, et conduise à des environnements naturels en meilleur état.
Une expérience grandeur nature pour les éco-acousticiens
Avec la crise du Covid-19, la diminution du trafic des transports offre des conditions uniques pour une expérience scientifique à grande échelle.
Supprimer en partie le bruit de tout un pays – choc exogène impensable pour un scientifique ! – permet de tester l’importance de l’anthropophonie sur le comportement et l’écologie animale ; et de mieux diagnostiquer la biodiversité en l’écoutant, activité essentielle de l’éco-acoustique.
À lire aussi :
L’éco-acoustique, écouter la nature pour mieux la préserver
Pendant toute cette période, des magnétophones installés depuis un an et demi dans le Parc naturel régional du Haut-Jura vont pouvoir, par exemple, enregistrer le paysage sonore d’une forêt de résineux et offrir la possibilité de comparer la structure et la dynamique acoustique d’un milieu naturel avant, pendant et après le confinement.
Citons aussi « Silent Cities », un projet collaboratif conduit par des chercheurs du CNRS et de l’IRD, qui s’est rapidement mis en place pour collecter des données sonores dans les villes confrontées à la pandémie.
Cure silencieuse
Quel pourrait être l’effet du changement sonore de l’épidémie pour nous, beaux parleurs et grands chanteurs ?
À peu près la même chose que pour les animaux : un processus de détoxication. Le passage du low-fi au high-fi nous permet de nous réapproprier l’espace sonore envahi par les machines ; de mieux percevoir et apprécier les sons de la nature.
Le bruit est facteur de gène auditive, de trouble du sommeil, de déconcentration, de changement d’humeur et de stress pouvant conduire à des effets chroniques comme la diminution de l’apprentissage, l’hypertension, ou un dérèglement hormonal.
Ainsi, les paysages sonores calmes nous apportent un sentiment bénéfique de tranquillité et de repos. Réduire le bruit, c’est donc assurément retrouver un contact sensoriel avec la nature, améliorer notre bien-être et protéger notre santé.
Respiration ou apnée sonore
Si le bruit est néfaste, que nous apprend ce nouveau silence ?
Chez les animaux, il peut indiquer l’absence de danger, notamment celui du prédateur rôdant. Lorsque l’individu est une proie, le silence est probablement réconfortant. Mais le silence des autres marque aussi l’absence de congénères, de contacts sociaux – notamment l’absence de parents pouvant offrir protection et ressources. Ainsi, les rats perçoivent l’immobilité d’un groupe et l’absence de sons due aux mouvements comme l’expression d’un danger.
Depuis quelques jours, nous sommes devenus partiellement immobiles car un événement soudain est venu dérégler notre écosystème. Le silence du confinement pourrait donc être entendu comme l’absence de mouvement et générer une forme de peur individuelle. L’absence de biophonie, donc de nature, ne peut qu’accentuer ce mal-être : sortir aujourd’hui dans une rue minérale déserte est plus angoissant que de passer dans une rue arborée d’où sortent les notes flûtées d’oiseaux affairés.
Finalement, le silence du virus, qui semble presque rien, est en réalité majeur : il change notre quotidien et agit comme un signal provoquant réconfort ou angoisse. Selon notre vécu, nos besoins, nos expériences passées et notre confrontation à l’épidémie, nous pouvons vivre ce changement comme une respiration ou une apnée sonore. La nature, elle, libérée d’un stress multiple, apprécie certainement…
Cet article est publié en collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de systématique, évolution, biodiversité, Muséum national d’histoire naturelle, Sorbonne Université).
[ad_2]
Jérôme Sueur, Maître de conférences, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.