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La conception virginale, c’est-à-dire le développement d’un embryon à partir d’un ovule non fécondé, préoccupe les humains depuis des siècles. Et bien qu’elle ne puisse se produire chez les mammifères, elle semble bel et bien possible chez d’autres animaux dotés d’une colonne vertébrale (les vertébrés), comme les oiseaux et les lézards.
Un article récent de chercheurs du zoo de San Diego, aux États-Unis, rapporte deux cas de poussins mâles sans père élevés dans le cadre d’un programme dont l’objectif est de sauver le condor de Californie de l’extinction. Une seule femelle pourrait-elle suffire à reconstituer l’espèce ?
La reproduction sexuée est fondamentale chez tous les vertébrés. Normalement, cela implique la fécondation d’un ovule de la femelle par le sperme d’un mâle, chaque parent donnant ainsi à l’embryon une copie de son génome.
Le non-respect de cette règle, comme dans le cas présent de jeunes condors sans père, nous en apprend beaucoup sur les raisons qui font de la reproduction sexuée une si bonne stratégie, et sur la façon dont elle fonctionne chez tous les animaux, y compris les humains.
Comment les poussins sans père ont-ils été identifiés ?
Le majestueux condor de Californie, un charognard, est le plus grand oiseau volant d’Amérique du Nord. En 1982, l’espèce ne comptait plus que 22 individus. Ce déclin est à l’origine d’un ambitieux programme de reproduction en captivité mené par le zoo de San Diego, qui a permis le repeuplement progressif de cette espèce.
Avec si peu d’oiseaux à sa disposition, l’équipe devait se montrer prudente en évitant de choisir des géniteurs aux liens de parenté trop proches, étant donné qu’un manque de variation génétique produirait des petits moins vigoureux et accélérerait d’autant la disparition de l’espèce.
Les chercheurs ont mené une étude génétique détaillée sur les oiseaux afin d’éviter ce problème, en utilisant des marqueurs ADN spécifiques aux condors qui varient selon les individus. Pendant trente ans, les scientifiques ont collecté des plumes, du sang et des coquilles d’œufs issus de plus d’un millier d’oiseaux.
En analysant ces données, ils ont établi la filiation de chaque individu, confirmant que la moitié des marqueurs ADN de chaque poussin provenait d’une femelle et l’autre moitié d’un mâle, comme on pouvait s’y attendre. Les chercheurs ont continué de suivre le développement de centaines d’oiseaux nés en captivité dans la colonie, et après les avoir relâchés dans leur milieu naturel.
Mais deux mâles présentaient des caractéristiques inhabituelles, détaillées dans l’article récemment publié. Les poussins en question, nés à plusieurs années d’intervalle d’œufs pondus par des femelles différentes, n’avaient que des marqueurs ADN issus de la femelle. Il n’y avait aucune trace des marqueurs du mâle avec lequel elle s’était accouplée.
Conception virginale
Le développement d’embryons à partir d’ovules non fécondés, la parthénogenèse (« création virginale » en grec), est répandu chez les insectes et d’autres invertébrés, comme les pucerons et les étoiles de mer, et peut s’accomplir grâce à différents mécanismes. Elle est en revanche très rare chez les vertébrés.
Des cas de parthénogenèse ont été rapportés chez des poissons et reptiles dont les femelles vivaient sans mâles. Dans le Tennessee, une femelle dragon de Komodo, gardée seule en captivité pendant de longues années, a ainsi renoncé à trouver un partenaire et produit elle-même trois rejetons viables. Un python et un boa femelles en ont fait autant, bien que les petits nés par parthénogenèse n’aient pas survécu longtemps.
Certains lézards ont cependant adopté la parthénogenèse comme mode de vie. Il existe des espèces composées uniquement de femelles en Australie et aux États-Unis. Ces femelles pondent des œufs qui ne portent que des combinaisons de leurs propres gènes.
La parthénogenèse se produit aussi chez les poules et les dindes domestiques, mais l’embryon meurt la plupart du temps. Il n’y a que quelques cas documentés de dindes mâles sans père ayant vécu jusqu’à l’âge adulte, et seules une ou deux produisaient du sperme.
Comment cela fonctionne-t-il ?
Chez les oiseaux, la parthénogenèse résulte toujours d’un ovule qui porte une copie unique du génome (haploïde). Les ovules sont fabriqués dans l’ovaire d’une femelle grâce à un processus de division cellulaire spécifique, la méiose, qui brasse le génome et divise par deux le nombre de chromosomes. Les spermatozoïdes sont créés de la même façon dans le testicule d’un mâle.
En temps normal, un ovule et un spermatozoïde fusionnent (fécondation), incorporant les génomes des deux parents et restaurant le nombre normal de chromosomes (diploïde).
Mais dans le cas d’une parthénogenèse, l’ovule n’est pas fécondé. Il devient diploïde, soit en fusionnant avec une autre cellule issue de la même division – qui est normalement laissée de côté – ou en répliquant son génome sans que la cellule se divise.
De ce fait, plutôt que d’avoir un génome issu de la mère et un autre du père, l’œuf n’a que les gènes de la mère, en deux exemplaires.
Les oiseaux sans père seront toujours des mâles
Chez les condors, comme chez les autres oiseaux, le sexe est déterminé par les chromosomes Z et W. Ceux-ci fonctionnent d’une façon opposée à celle du système humain XX (femelles) et XY (mâle), dans le lequel le gène SRY du chromosome Y détermine la masculinité.
Chez les oiseaux, les mâles sont ZZ et les femelles ZW. Le sexe est déterminé par le dosage d’un gène (DMRT1) dans le chromosome Z. La combinaison ZZ a deux copies du gène DMRT1 et produit un mâle, tandis que la combinaison ZW n’en a qu’une et produit une femelle.
Les œufs haploïdes reçoivent soit un chromosome Z, soit un chromosome W de leur mère ZW. Leurs dérivés diploïdes seront donc ZZ (des mâles normaux) ou WW (non viables). Les embryons WW ne peuvent pas se développer, car le chromosome W ne contient presque pas de gènes, alors que le chromosome Z en compte 900 qui sont essentiels au développement du fœtus.
Les poussins sans père sont donc nécessairement des mâles, ZZ, comme l’ont confirmé les observations scientifiques.
Pourquoi les conceptions virginales sont-elles vouées à l’échec ?
Est-il possible de ressusciter une espèce en voie d’extinction comme le condor à partir d’une seule femelle, en faisant éclore un oisillon mâle sans père et en le faisant s’accoupler ensuite avec sa mère ?
Rien n’est moins sûr. Les animaux issus d’une parthénogenèse ne sont pas en très bonne santé. Aucun des deux condors sans père n’a eu de descendance. L’un est mort avant d’atteindre la maturité sexuelle ; l’autre était faible et se laissait dominer, ce qui n’en faisait pas un bon candidat à la paternité.
Chez les poules et les dindes, la parthénogenèse produit des embryons morts ou des poussins faibles. Même les espèces de lézard entièrement femelles, bien qu’elles semblent robustes, sont en général le fruit d’une récente hybridation de deux espèces qui a perturbé la méiose et ne leur a pas laissé d’autre choix. Ces espèces ne semblent pas perdurer.
Pourquoi les animaux sans père sont-ils si peu résistants ? La réponse nous plonge au cœur d’une question fondamentale de la biologie : pourquoi avons-nous des rapports sexuels ? On pourrait penser qu’il serait plus efficace pour le génome de la mère de se transmettre directement à son rejeton par clonage sans passer la méiose.
Les variations sont essentielles
Pourtant, les preuves scientifiques montrent qu’il n’est pas sain d’avoir un génome uniquement constitué des gènes de la mère. La variation génétique est essentielle à la santé de l’individu et de son espèce. Le mélange des variantes génétiques des parents mâle et femelle est essentiel.
Chez les rejetons diploïdes qui ont deux génomes parentaux, les bonnes variantes peuvent compenser d’éventuelles mutations. Les individus qui n’héritent que des gènes maternels risquent d’avoir deux copies d’un gène muté qui les affaiblit, sans disposer d’une version saine de ce même gène, issue d’un parent mâle, en contrepartie.
Les variations génétiques aident aussi à protéger les populations contre les virus, bactéries et parasites potentiellement mortels. La méiose et la fécondation permettent de multiples réagencements de différentes variantes génétiques, ce qui peut entraver le développement des agents pathogènes. Sans cette protection supplémentaire, ceux-ci se répandraient comme une traînée de poudre dans une population de clones, et cette population génétiquement similaire serait incapable d’y résister.
Il est donc peu probable que la capacité des femelles condor à faire éclore des œufs non fécondés par un mâle puisse sauver l’espèce. La bonne nouvelle, c’est que les efforts des humains ont permis à des centaines de femelles – et de mâles – de s’envoler à nouveau dans le ciel de Californie.
Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.
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Jenny Graves, Distinguished Professor of Genetics and Vice Chancellor’s Fellow, La Trobe University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.