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En ville, les espaces verts offrent des refuges pour la biodiversité. S’y côtoient des espèces natives et des espèces exotiques souvent envahissantes, ce qui peut poser problème aux premières.
Une meilleure connaissance de la richesse et de l’abondance en petits mammifères des grandes agglomérations urbaines doit permettre d’envisager le maintien de la biodiversité dans ces habitats très transformés.
Déclin de la biodiversité mammalienne
Lors du dernier congrès de l’IUCN, qui s’est tenu à Marseille en septembre 2021, les déclarations portant sur le déclin de la biodiversité des espèces se sont multipliées, alimentant un verdict sans appel : nous sommes bel et bien entrés dans la 6e extinction de masse.
La perte en biodiversité n’a jamais été aussi rapide ni aussi dramatique.
Selon le dernier décompte du chercheur mexicain Connor J. Burgin et de ses collègues, les mammifères rassemblent 6431 espèces. Un tiers environ se trouve menacé de disparition à plus ou moins court terme, des espèces les plus emblématiques – tigre, orang-outan, panda roux et ours polaire – aux plus discrètes, petites et méconnues.
Chez les mammifères, les rongeurs représentent environ 40 % des espèces et sont aussi fortement impactés. Le hamster d’Europe serait ainsi condamné à s’éteindre d’ici 30 ans. Ce rongeur autrefois abondant à travers l’Europe, jusqu’en Russie, a aujourd’hui disparu des trois quarts de son habitat originel en Alsace et en Europe de l’Est.
Une régression liée à un taux de reproduction en chute libre pour de multiples raisons : extension de la monoculture, développement industriel, réchauffement climatique et pollution lumineuse.
Petites bêtes des villes
La biodiversité urbaine est évidemment davantage réduite que celle présente en milieux plus naturels. Néanmoins, les espèces capables de s’y adapter peuvent y trouver un environnement favorable. Souvent sans prédateurs, elles peuvent atteindre des densités élevées (pigeons, moineaux…).
La diversité des communautés urbaines en petits mammifères natifs n’est pratiquement pas documentée, car très peu étudiée. Or ces derniers très discrets, car souvent nocturnes ou crépusculaires, offrent un grand nombre de services : en consommant certains insectes, en contribuant à la régénération des forêts par les graines et semences qu’ils déplacent, en servant de proies pour d’autres animaux prédateurs comme les renards et les chouettes.
Parmi les espèces qui dominent ces communautés, le rat surmulot (Rattus norvegicus) constitue une espèce exotique envahissante, car originaire de l’est de la Chine ; il a été introduit fortuitement en Europe lors d’échanges commerciaux maritimes, il y a plusieurs siècles.
Avec la souris domestique (Mus musculus) également introduite, ces deux espèces sont pratiquement devenues cosmopolites cohabitant avec l’homme, entraînant souvent des effets négatifs sur la biodiversité (notamment dans les îles), mais aussi sujets d’enjeux sanitaires et de problèmes économiques.
Le rat surmulot, le plus présent, mais aussi le plus visible dans les espaces urbains, fait l’objet de débats passionnés, parfois houleux, dont l’origine repose sur une perception contrastée de la place et du rôle de ces animaux en ville en tant que « nuisibles » ou « simples cohabitants ».
Les micromammifères parisiens à la loupe
Nous avons mené plusieurs études d’inventaires des communautés de micromammifères à Paris afin de vérifier la présence d’espèces natives aux côtés d’espèces envahissantes et dominantes. Pour cela, des piégeages de petits mammifères dans différents espaces verts parisiens ont été réalisés.
Les résultats obtenus nous ont permis de confirmer la présence de rongeurs natifs jusque-là uniquement supposée. C’est le cas du mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus) qui a été observé avec des abondances parfois non négligeables sur pratiquement tous les sites que nous avons étudiés.
Mulots et campagnols
Le mulot est un peu plus gros qu’une souris. Contrairement à cette dernière, il se caractérise par un pelage dorsal fauve avec des teintes allant du jaune au brun, un ventre blanc, une très longue queue, de grands pieds longs et fins, et de gros yeux globuleux. Il est nocturne. Il se nourrit d’insectes et de graines, vit dans des terriers au pied des arbustes, dans des tas de bois ou dans la litière des feuilles mortes. Le mulot est chassé par les renards, les fouines et les rapaces diurnes et nocturnes.
Ce rongeur était connu en banlieue dans les parcs et jardins, mais la surprise fut de le trouver en plein cœur de Paris.
Moins abondant dans le centre de la capitale, le campagnol agreste (Microtus agrestis) a été trouvé uniquement dans son habitat de prédilection fait de talus enherbés laissés en friche et de petites parcelles laissées durablement « au repos ». De petite taille avec une queue très courte, un museau busqué et des oreilles petites et rondes, il creuse de petits terriers profonds. C’est un végétarien nocturne.
Nos voisins commensaux
La souris domestique a été essentiellement capturée à l’intérieur des bâtiments, ou dans des milieux totalement artificialisés (comme dans le métro) où elle s’adapte parfaitement.
Le rat surmulot quant à lui creuse des terriers dans les sols meubles des squares et jardins parisiens. Il lui arrive aussi de « squatter » des jardinières de très petites tailles le long des rues et des boulevards pour peu que la nourriture y soit abondante (notamment grâce aux poubelles).
Tous deux dont sont dits commensaux, car ils mangent nos déchets. Leur abondance paraît très variable. Leur grand nombre semble lié aux lieux d’entrepôts de déchets à proximité de bâtiments vétustes ou bien dans des endroits spécifiquement dédiés au nourrissage des animaux domestiques (chats errants, pigeons) par le public.
Le projet ARMAGUEDON, actuellement en cours, développera plus spécifiquement cette approche afin de faire avancer les connaissances sur l’écologie et la biologie du rat surmulot à Paris pour proposer des méthodes de gestion intégrée et raisonnée.
Dans les branches, au pied des arbres
L’écureuil roux est assez fréquemment observé dans les arbres des grands parcs de l’agglomération parisienne (bois de Vincennes, bois de Boulogne, parc de Saint-Cloud). Dans l’enceinte de la capitale, les observations sont plus rares et ponctuelles. Une petite population est bien présente au parc Montsouris notamment. Ces observations isolées témoignent des faibles possibilités offertes à cette espèce de pouvoir « naturellement » se déplacer et coloniser quelques (et encore trop rares) habitats qui pourraient lui être favorables à l’intérieur d’une grande ville comme Paris.
Chez les Eulipotyphla (encore appelés insectivores), nous avons trouvé l’espèce hérisson d’Europe (Erinaceus europeus) dans tous les sites que nous avons suivis, et parfois même en très grand nombre. Il vit au sol et fait son nid dans les tas de bois et dans la végétation dense. Il est nocturne et mange des escargots, des vers de terre et des limaces. Il hiberne en hiver.
Du même ordre et beaucoup plus discrète, la musaraigne musette (Crocidura russula) a également été observée. Cette dernière est de très petite taille (entre 6 et 12 grammes), d’un gris clair uniforme sur le dos et le ventre avec un poil très ras et dense, une queue très courte avec de grands poils isolés. Les yeux et les oreilles sont bien cachés dans la fourrure. Les dents sont blanches avec des pointes acérées. Elle fait son nid sous les feuilles en bordure des troncs d’arbres au sol. La musaraigne consomme essentiellement des insectes, mais aussi des vers de terre et ne dédaigne pas les cadavres de proies plus grosses. Les chouettes effraies et d’autres rapaces la consomment en grande quantité.
La fouine immortalisée
Enfin, les caméras posées en complément des pièges ont pu filmer un petit mammifère carnivore assez bien adapté à la vie urbaine : la fouine. Ce petit mammifère a un régime alimentaire varié et constitue, avec le renard roux, l’un des prédateurs naturels en ville.
Grâce à nos travaux de recherche d’inventaire en ville, nous montrons que les espaces verts de la capitale peuvent permettre de conserver la biodiversité native des petits mammifères terrestres de Paris et que cette dernière, bien cachée, comprend en plus du rat et de la souris au moins trois autres rongeurs, deux insectivores et deux petits carnivores.
Afin de mieux comprendre comment cette biodiversité survit au contact des humains, des prédateurs (chats, fouines, renards, faucons, chouettes) et résiste à la cohabitation avec le rat surmulot et la souris domestique, d’autres recherches sont nécessaires. Des suivis sur plusieurs années doivent être établis pour surveiller l’état (augmentation ? déclin ?) des populations de micromammifères notamment des mulots, campagnols et musaraignes au cœur de Paris.
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Christiane Denys, Professeure du Museum, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.